30.

« Oh, allons, papouche, tu n’es pas vraiment fâché contre moi. Tu sais que je t’aime. » Assis à la table en face de son vieil oncle Derek Olsen, Steve Hockney avait adopté un ton enjôleur. Il était allé prendre Olsen à son appartement et l’avait emmené en taxi dîner au Shun Lee West dans la 65e Rue. « C’est la meilleure cuisine chinoise de New York. Nous fêtons ton anniversaire avec quelques semaines de retard. Peut-être allons-nous le célébrer pendant toute l’année. »

Steve vit qu’il était arrivé au résultat escompté. La colère se dissipait dans les yeux de son oncle et un sourire flottait sur ses lèvres. Il lui fallait se montrer plus attentif à l’avenir. Avoir oublié l’anniversaire de Derek était d’une rare bêtise.

« Tu as de la chance que je ne t’aie pas viré de ton appartement en te disant de te débrouiller tout seul, pour changer », marmonna Olsen d’un ton moins sévère qu’il n’aurait voulu. Il s’étonnait toujours d’éprouver une telle bouffée d’émotion en présence de ce beau garçon, le fils de sa sœur décédée. C’est parce qu’il ressemble tellement à Irma, se dit-il – les mêmes cheveux bruns, les mêmes grands yeux noirs, le même sourire charmeur. La chair de ma chair, pensa-t-il en mordant une bouchée des raviolis à la vapeur que Steve avait commandés pour lui. « C’est délicieux, dit-il. Tu as le chic pour m’emmener dans de bons restaurants. Je dois me montrer trop généreux avec toi.

– Pas du tout, mon cher oncle. J’ai donné pas mal de concerts dans le Village. La gloire m’attend. Tu seras drôlement fier de moi. Tu vas voir. Avec mon groupe nous serons bientôt les nouveaux Rolling Stones.

– J’entends ce refrain depuis que tu as vingt ans. Quel âge as-tu maintenant ? Quarante-deux ? »

Hockney sourit. « Trente-six, tu le sais très bien. »

Olsen se mit à rire. « Bien sûr que je le sais. Pourtant écoute-moi : je compte toujours sur toi pour t’occuper de la gérance de mes appartements. Howie me tape sur les nerfs. Il agace tout le monde. J’ai failli le virer aujourd’hui, mais les Kramer ont renoncé à partir, Dieu soit loué.

– Les Kramer ? Ils ne quitteront jamais New York ! Leur fille les a poussés à acheter cette maison en Pennsylvanie, et je vais te dire pourquoi : elle ne veut pas que ses parents soient gardiens d’immeuble. C’est mauvais pour son image auprès de ses snobinards d’amis.

– En tout cas, Howie les a convaincus de rester, mais tu devrais songer à t’occuper davantage de l’affaire. »

Oh, ça suffit ! pensa Steve Hockney, mais il contint son irritation. Il fallait qu’il fasse gaffe, vraiment gaffe. Je suis son seul parent, se dit-il, mais avec ses humeurs changeantes, le vieux est capable de tout léguer à des bonnes œuvres, voire de laisser un gros paquet à Howie. Cette semaine, il est furieux contre lui. La semaine prochaine, il dira qu’il est le meilleur gérant du monde, qu’il est comme un fils pour lui.

Il avala quelques bouchées, puis déclara : « Tu as raison, papouche, j’ai pris la résolution de t’aider davantage. Quand je vois tout ce que tu fais pour moi. La prochaine fois que tu iras inspecter tes immeubles, je vous accompagnerai, toi et Howie. Cela me ferait plaisir.

– Vraiment ? » Derek Olsen fixa sévèrement le visage de son neveu, puis, satisfait de son examen, il ajouta : « Je vois que tu es sérieux.

– Bien sûr que je suis sérieux. Pourquoi crois-tu que je t’appelle papouche ? Tu as remplacé mon père quand je n’avais que deux ans.

– J’avais prévenu ta mère de ne pas épouser cet individu. C’était un bon à rien. Malhonnête, fourbe. Quand tu étais adolescent, à un moment, j’ai craint que tu ne deviennes comme lui. Dieu merci, tu t’es repris en main tout seul. Avec un petit coup de pouce de ma part. »

Steve Hockney sourit d’un air approbateur puis, plongeant la main dans sa poche, il en sortit un étui étroit. Il le posa sur la table et le fit glisser vers son oncle. « Bon anniversaire, papouche. »

Négligeant son dernier ravioli, Olsen dénoua le ruban, déchira le papier d’emballage et ouvrit l’étui. Il contenait un stylo Montblanc avec ses initiales gravées sur l’agrafe en or. Un sourire ravi éclaira son visage. « Comment as-tu su que j’avais perdu mon stylo ?

– A notre dernière rencontre, je me suis aperçu que tu te servais d’un stylo publicitaire. La déduction n’était pas difficile. »

Le garçon arriva avec un plat de canard laqué. Pendant le reste du dîner, Steve orienta habilement la conversation vers le souvenir de sa mère décédée, rappelant qu’elle considérait son grand frère comme le plus intelligent, le plus attentionné des hommes. « Quand maman est tombée malade, elle m’a dit que son plus cher désir était de me voir te ressembler. »

Il fut récompensé par les larmes d’émotion qui montèrent aux yeux de son oncle.

Après le dîner, Hockney héla un taxi et déposa son oncle chez lui, l’accompagnant jusqu’à la porte de son appartement. « Ferme à double tour », lui conseilla-t-il en l’embrassant une dernière fois. Dès que le déclic du verrou lui eut confirmé qu’Olsen avait suivi sa recommandation, il dévala l’escalier et regagna d’un pas vigoureux son propre appartement, à dix blocs de distance.

Chez lui, il ôta rapidement sa veste, son pantalon et sa cravate, enfila un jean et un sweatshirt. C’est le moment d’aller voir ce qui se passe à SoHo, se dit-il. Bon sang, j’ai cru devenir fou à rester assis en face de ce vieux ronchon.

Son appartement, situé au rez-de-chaussée, avait une entrée privée. En sortant, il regarda autour de lui et, comme souvent, songea à la locataire précédente, ce professeur d’art dramatique qui avait été assassinée dans la rue, à peine un bloc plus loin.

J’habitais un endroit minable avant, mais après la mort de cette femme, mon oncle a été trop heureux de me proposer celui-ci. Je l’ai convaincu que les gens étaient superstitieux. Il a admis qu’il valait mieux ne pas le louer tant que sa mort était encore dans l’esprit des gens. C’était il y a neuf ans. Aujourd’hui, qui s’en souvient ?

Je ne le quitterai jamais, se jura-t-il. Il convient parfaitement à mes besoins, et il n’y a pas de maudite caméra de surveillance pour m’espionner.

Où es tu maintenant ?
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